Catherine Poulain

Artiste-auteur

L’Art contemporain est-il une vaste farce réservée aux bourgeois?

Artiste contemporain
Collage
Marché de l'Art Contemporain
Space Média NAO

Le contexte

Lorsque j’ai demandé en juillet 2018 à Fred Forest « quelle issue y a-t-il pour les artistes aujourd’hui » il a répondu « l’issue c’est souffrir ». Cela ne m’a pas convaincue et j’ai continué à chercher des solutions. Puis nous sommes entrés en conversation.

Aujourd’hui Fred Forest m’informe qu’il veut en finir avec le marché de l’art, c’est un artiste conceptuel quelquefois soutenu par des institutions, mais n’ayant jamais eu de galerie et ni vendu dans le marché de l’art car il était enseignant par ailleurs, c’est pourquoi il peut attaquer le marché sans risque de perdre un acquis. Je constate qu’aujourd’hui l’état se désengage progressivement de ses soutiens à toute forme d’art que ce soit l’art conceptuel ou l’art pictural. Fred Forest a eu une reconnaissance par ceux qui ont écrit sur lui et par les médias auquel il a accès et qui sont son moyen d’expression.

Paul Ardenne, critique d’art, défend l’art engagé relié à la réalité sociale du monde et au contexte historique. En novembre 2019 à Paris, nous avons organisé un événement avec exposition, conférences, vente aux enchères, et performances. Il a réaffirmé son soutien intellectuel au Collectif NAO dont je suis cofondatrice avec Alexis Denuy. Nous avons été mis à l’épreuve avec une mise aux enchères décroissante dans une démarche écologiste de sa part. C’est quelqu’un d’engagé pour l’Art et l’environnement avec une réflexion dans son livre « Un art écologique, Création plasticienne et anthropocène ». Paul Ardenne n’est pas nihiliste car « le nihilisme c’est la barbarie » dit-il.

La négation dans l’Art Contemporain

Certains artistes peintres s’évertuent à désacraliser eux-mêmes leurs contenus, messages codés contenant des insultes à eux-mêmes et au sacré, ce qui plait à certains collectionneurs visiblement attirés par le malin, par la destruction de la beauté, ce qui fait de ces artistes, des agents du système perverti dont certains ne le renient pas en affirmant qu’ils ont vendu leur âme au diable comme Miss Tic dans un de ses pochoirs.

S’il n’y a plus de marché, si l’art qui se vent n’est qu’une forme de négation de l’art, tout en défiant l’argent qui les nourrit comme le fait Maurizio Catellan dans son doigt d’honneur monumental avec deux doigts coupés (signe d’avertissement menaçant aux contestataires du pouvoir de la finance ?) sur la place de la bourse à Milan, alors je constate que ce système de marché est basé sur l’offensive domination comme dans une guerre. L’argent étant au départ une valeur d’échange pour se nourrir, et l’achat d’une œuvre basée sur la valeur affective que représente l’œuvre pour celui qui l’achète, sur le cœur et non sur la spéculation et la prédation. La spéculation est beaucoup plus violente et pervertie par un système capitaliste d’ultra riches avec une cruauté sans limite envers le cœur de l’artiste qu’il se complaît à piétiner allègrement en dévaluant son œuvre de son vivant pour l’encenser une fois mort, en reniant le geste, la fabrication, le travail de la main au profit de celui de l’esprit, en les opposant alors qu’ils sont naturellement reliés pour faire œuvre à part entière. L’art pictural est plus souvent lié au sacré, à la dimension divine et au rôle de médiateur vers l’au-delà de l’artiste connecté.

L’opposition à la disparition artistique

Je me bats depuis des années pour que l’art ne disparaisse pas du champ culturel en interpellant différents interlocuteurs et cela est sans cesse remis en question.

Aujourd’hui Fred Forest se met en opposition avec le créateur de la banane scotchée au mur, qui s’est vendu à 108.000 euros à la foire Art Basel de Miami de Maurizio Catellan, Italien vivant aux USA. Les américains estimant que la valeur d’une œuvre n’est pas le produit mais l’idée, donc toujours plus attachés au concept qu’à l’œuvre elle-même. Fred Forest parle en 2008 avec Alain Robbe-Grillet, cinéaste à Art Basel Miami, celui-ci dit qu’il ne croit pas beaucoup à un retour de la peinture mais qu’on verra dans 20 ans et Fred Forest d’ajouter « il n’y a pas plus de retour de la peinture que de l’équitation pour circuler dans les rues de Paris ». Pourtant la peinture se produit toujours et tend à prendre davantage sa place dans le marché de l’Art à travers le street-art ou l’art brut aujourd’hui.

Fred Forest revendique la paternité de son rôle novateur dans l’art numérique sociologique conceptuel en vogue dans les années 70, cherchant des ressorts nouveaux pour attirer l’attention des médias et de critiques d’art. Il a lancé un appel à participation au Space Média en 2019 pour deux expositions en 2020 aux artistes, ses productions n’étant pas remarquables par leur esthétique mais plutôt par les interactions qu’elles peuvent créer avec le public et sur internet. Fred Forest propose en février une mise aux enchères non-négociable cette fois avec huissier et dont les fruits seraient reversés à Mains d’œuvres, lieu de musique à Saint Ouen.

Aude de Kerros a dénoncé dans son livre « L’imposture de l’Art Contemporain » certains artistes conceptuels comme Jeff Koons qui fait réaliser par d’autres ses sculptures monumentales à grand frais. L’art conceptuel étant à l’origine lancé par Marcel Duchamp et son urinoir comme dérision de l’art puis repris aux États-Unis dans une forme commerciale avec des investisseurs et collectionneurs ayant fait flamber les prix. Les artistes français se retrouvant ainsi à la traîne d’un mouvement qu’ils ont créé. Il y a là une récupération.

Le soft power mondialiste

Tant que cela se joue dans un micro-milieu, un tout petit milieu, les guerres intestines entre l’art conceptuel et l’art pictural élitiste, se jouent en dehors du public.  Dans les foires d’art contemporain internationales comme celles auxquelles participe Nathalie Obadia galeriste, formée en politique, les artistes sont choisis puis le marché international leur est ouvert. Elle affirme dans une vidéo que le marché français ne représente que 7 % du marché de l’art mondial alors qu’elle était en tête avant 1945, la CIA ayant aidé les collectionneurs trotskistes à lutter contre les marxistes en France à cette époque pour les faire disparaître du champ culturel. Le Qatar étant actuellement parmi les 5 plus gros acheteurs d’art occidental. Cela touche à la géopolitique, au « soft power » et au monde de la finance, mais pas le grand public qui n’est pas au courant de cela, cela ne les touche pas directement.

Une issue à trouver à tous les niveaux

Avec la polémique publicitaire de la banane, une grande bouffonnerie qui a fait parler les médias au service du pouvoir, mais est loin d’être de l’art, elle a trouvé écho dans la dérision jusque dans les milieux de l’art dits non contemporains comme les arts urbains.

D’autre part, à travers le début du mouvement des gilets jaunes en novembre 2018, où de vraies questions ont été abordées, l’opinion publique commence à prendre conscience que les artistes français sont de moins en moins représentés et soutenus en France par leur pays d’origine à cause de la politique menée et cela reste un sujet crucial pour les plus fragiles. Je pense que le système de marché impérialiste de l’art international détruit la vitalité artistique d’un pays, qu’il est temps de le comprendre et que les responsables de cette gabegie agissent en réparation.

Créer c’est résister au piège de la guerre civile contre les français qui expriment leur opinion de façon sincère et courageuse. Je suis scandalisée par la guerre armée qui est menée contre le peuple français dans les manifestations à Paris et en régions depuis plus d’un an, ils ont perduré faute de réponse apportées aux doléances des gilets jaunes par le gouvernement si ce n’est par une répression féroce. Les artistes ne doivent pas se laisser instrumentaliser pour ne pas être victime des violences dans les manifestations en luttant par des moyens qui ne mettent pas en danger la vie et la faculté de penser si précieuses à la création.

Participation au Space Média de Fred Forest: Galerie Stéphane Mortier, 77 rue Amelot, 75011 Paris du 25 janvier au 19 mars 2020. Vernissage samedi 25 janvier, 11 mars et finissage le 19 mars.

Catherine Poulain le 9 janvier 2020.